C’est Sandrine qui en a eu l’idée… une idée qui lui ressemble, incongrue et charmeuse : fêter la date anniversaire de notre séparation, il y a juste dix ans, le 5 novembre.
« On fête bien les dates de mariage, pourquoi pas de démariage quand c’est une façon de s’aimer autrement et autrement mieux ? »
J’en conviens ! Comme je conviens que cette échappée à Trouville m’amuse. Les moules-frites dans notre restaurant fétiche égales à elles-mêmes, nous avons soufflé ensemble la bougie plantée dans mon baba au rhum. L’incontournable « Happy birthday » que nos voisins de table, trompés par les apparences, se sont plu à entonner en notre honneur nous a fait rire aux larmes…
Sous mes semelles, le sable crisse à chaque fois que je croise et décroise mes jambes engourdies par l’étroitesse de la voiture de Sandrine qui roule d’une manière virile, un peu effrontément, comme si elle voulait me signifier qu’elle n’a pas d’autre choix puisque je fais partie de ces rares hommes qui ont décidé de ne jamais conduire une automobile.
Je n’apprécie guère ceux qui disent d’une belle femme qui a dépassé la cinquantaine : « Elle est encore belle. » Sandrine est belle, l’a été, l’est, le sera. Définitivement. Et plus encore depuis que, sa liberté retrouvée, elle partage avec d’autres que moi l’occasion de faire valoir ses charmes et son esprit.
Sa libération a été aussi la mienne. La rareté de nos rencontres rend plus précieuses les heures volées à mes patients et à ses « impatients », comme j’appelle ses admirateurs, dont je constate, d’ailleurs qu’ils sont de plus en plus jeunes, à moins que ce ne soit moi qui…
Tandis que nous filons à vive allure sur l’autoroute du retour, le soleil d’automne et moi, nous nous attardons sur la ligne harmonieuse de son nez. Sandrine se laisse admirer.
L’air de la mer m’a saoulé. Délicieusement. Je suis, grâce à cette fatigue, agréablement absent à moi-même. Sans défense.
Surtout, ne pas s’endormir mais garder au contraire éveillée cette présence tranquille au monde… Je me dis que cet état de parfaite disponibilité, il faudrait que je le conserve avec mes patients. Ne suis-je pas, lorsque je les écoute, trop sur le qui-vive, trop défendu justement ? Ce doit être cela la posture d’écoute idéale, quand aucune aspérité de l’esprit ou du corps n’en vient troubler la tiédeur.
De temps en temps, mes yeux se posent à nouveau sur le profil de Sandrine qui s’estompe dans l’obscurité grandissante percée de temps en temps par les lumières aiguës des phares d’en face.
Sandrine a-t-elle prémédité de rompre ce silence ?
« Tu ne dors pas ?
– Mais non !
– Je voudrais te raconter quelque chose.
– Ah ! Oui ?… »
Je quitte à regret mon irréalité. Ma béatitude marine.
« Je n’en ai parlé à personne… ajoute Sandrine.
– Mais j’espère bien ! »
Sandrine a le don d’éveiller ma curiosité mais aussi mon inquiétude. C’est le versant noir de son tempérament lumineux. De mon inquiétude elle semble avoir besoin, pour une raison qui m’échappe… Peut-être tout bêtement pour s’assurer de mon affection pour elle ? La tester ?