Patricia Beaune a insisté. Beaucoup. Beaucoup trop. Les précisions qu’elle a cru bon de me donner sur les « apparitions » de sa sœur assise au pied de son lit ou lui caressant les cheveux dans un souffle d’air frais comme la brise, ces visions d’Épinal, destinées peut-être à m’allécher, m’ont exaspéré. Elle n’est donc pas parvenue à me convaincre de la suivre, à nouveau, même pour deux ou trois séances.

Pour la dissuader, je n’ai pas lésiné sur la mauvaise foi, car au nom de la déontologie, derrière laquelle je me suis réfugié, j’aurais dû faire valoir les arguments exactement contraires à ceux invoqués.

Petite fraude morale ? Je dirais petite lâcheté, d’ailleurs aussitôt sanctionnée par moi-même, puisque à peine ai-je confié Patricia Beaune à Christian Frémot, mon confrère et grand ami, auquel j’ai téléphoné sur-le-champ comme pour précipiter la décision, j’ai aussitôt éprouvé des sentiments contradictoires, fort inconfortables, de dépossession et de soulagement.

Un soulagement de courte durée car, les journées passant, je sens bien que je ne suis en rien délivré de Patricia Beaune. Elle m’obsède. Comme m’obsèdent l’étincelle de ses yeux et sa voix, quand, un rien provocante, elle m’a asséné : « Ma sœur est morte !… Depuis plus de cinq ans ! »

Je n’ignore pas que je ne suis pas le mieux placé pour me percer à jour, mais il devient clair que le déni ne peut pas faire long feu. Cette femme te fout les jetons, mon vieux ! Voilà ma déduction tandis que je prépare une marinade pour de petits artichauts italiens dont les feuilles, pointues comme les oreilles du diable, hésitent elles aussi entre le mauve et le violet.

Peur ? J’aurais peur de Patricia Beaune ?

Pas d’elle, mon vieux, de sa sœur ! De son fantôme de sœur ! Si cela est vrai ce n’est pas bien glorieux pour quelqu’un qui converse d’ordinaire avec les morts et qui pratique avec ses patients l’art de convoquer les êtres chers du passé !

Ces plongées mystérieuses, souvent du côté des morts, ne sont-elles pas mon quotidien ? Qu’a donc ce revenant-là de particulier pour me contraindre à la fuite ?

Appeler Christian, à tout hasard… À tout hasard, vraiment ? Christian me remercie. Il est enchanté de sa première séance avec Patricia Beaune. « C’est très intéressant, conclut-il. Je crois que je vais apprendre beaucoup. On en parle quand tu veux ! »

Un souvenir de cour d’école me rattrape, celui de mon meilleur copain – mais cependant rival – et le bruit des billes de verre qui tintent au fond de la poche. Au tintement des billes je peux deviner combien j’en ai encore et s’il m’en manque une seule. Au fond de ma poche, il en manque une. Je l’ai perdue. Elle m’a échappé. La violette ou la mauve ?