Je me suis remis au travail théorique. Je m’immerge dans les textes. Comme un homme d’Église qui mesure sa foi et l’endurcit au contact de la pensée, je m’en remets aux fondamentaux.
« De nouveau dans les ordres ? plaisante Valérie à qui cette nouvelle ardeur n’a pas échappé… Tu devrais rendre visite à maman, elle est très en beauté en ce moment et relativement libre, je crois. C’est rare ! »
L’insolente ! En une phrase Valérie règle son compte à père et mère – séparés mais enfin amis –, l’un pour ses accès de spiritualité monacale, l’autre pour sa légèreté, deux excès, sans doute, concomitants, dont les deux enfants ont forcément pâti.
Lorsque je « replonge », comme elle dit, Valérie trouve à sa mère des excuses à son infidélité conjugale d’autrefois. Elle prétend qu’il n’existe pas de rivale pire pour une femme que la passion d’un mari pour l’abstraction spéculative qui, ajoutant à la « tromperie » la bonne conscience de n’être coupable en rien, se plaint, en plus, de se voir incompris.
Insolente mais perspicace, ma fille devine que, pour sa part, il lui faudra se contenter de la gastronomie universitaire en attendant que je revienne à mes fourneaux, puisque, sitôt le dernier patient parti, je me réfugie dans mon bureau où je commande, à pas d’heure, un plateau de fruits de mer, ou des sushis, pour lesquels Valérie a le plus grand mépris : « Ce ne sont pas des nourritures ! », proteste-t-elle si je lui en propose le partage. En quoi elle n’a pas tort…
Je cherche évidemment à me rassurer. J’ai ressorti un texte de Freud, datant de 1921, à propos de ses rapports conflictuels avec les phénomènes occultes en général, et la télépathie en particulier, à l’égard de laquelle il émet les plus grandes réserves.
En relisant ces pages, je bois du petit-lait. J’ai l’impression de lire en moi-même. À la résistance de Freud pour l’occultisme j’ajoute la mienne. À sa « répugnance », je surenchéris.
Il a raison, bien évidemment ! Allons donc ! Les faits occultes n’ont rien à envier à la religion : ils sont du même acabit ! De la même ascendance : la superstition !
Le fantôme de Patricia Beaune n’a rien à voir avec les miens. Il ne « m’intéresse pas », justement, contrairement à Christian.
Mes fantômes à moi, mes morts-vivants à moi, ceux que mes patients viennent exhumer au détour d’un rêve ou d’un souvenir, ceux-là sont d’une matière fondamentalement différente : scientifique en un mot.
Le fantôme de Mlle Beaune est tout bonnement indécent. Je n’ai rien à en dire. Rien à lui dire. Il indiffère l’homme de science que je suis.
Au fond d’un placard – je sais pertinemment lequel – le premier registre en cuir noir relié, datant de vingt-cinq ans (j’ai tout conservé des notes sur mes patients) est bien à l’abri. À moins que ce soit moi qui le sois…
Le téléphone m’interrompt. Valérie a déniché un bistrot qu’elle veut expérimenter avec moi. Quand je serai plus disponible…
« Avec joie ! Ce soir, si tu veux !
– Tu as donc trouvé ce que tu cherchais !
– Le pouvoir de la raison nous sauvera, ma chérie !
– Et le plaisir des sens ! »
Elle a réponse à tout.