Premiers recours : Valérie, ma fille.

Valérie ne refuse jamais, impromptu, un dîner au restaurant – toujours une table excellente – ou dans ma cuisine, qu’un chef pourrait m’envier, je crois, tant elle allie la technicité et le plaisir des yeux.

Ces agapes la changent de son quotidien et du restaurant universitaire.

Avec Bruno, mon fils aîné, c’est plutôt un café entre deux rendez-vous. Valérie, une des rares à ne pas me reprocher mes débauches de table. Elle a compris qu’elles me réparent davantage qu’elles me nuisent.

« Écouter me vide. » C’est la phrase d’excuse pour me resservir du ris de veau aux morilles ou du civet de lièvre à la royale.

De ma fille j’accepte en retour beaucoup de libertés. Qu’elle me brocarde par exemple sur mon double prénom : Jean-Marc.

Elle y voit la cohabitation entre ma raison qui fait de moi un psychiatre psychanalyste de renom et une forme de déraison dont je fais preuve aussitôt la porte de mon cabinet refermée :

« Qui dévore, me demande-t-elle, c’est Jean ou c’est Marc ? »

Difficile de répondre à cette question qu’elle juge essentielle. Comme à l’accoutumée Valérie commente dans le détail la dernière conquête de Sandrine, sa mère, et s’exalte sur ses cours de théâtre qui l’aident à supporter des études de droit qu’elle a choisies, elle-même, par devoir. Je dois lui paraître, ce soir, un peu absent.

« Fatigué ?

– Disons… Perplexe.

– Au point de ne pas reprendre de dessert… C’est grave ! Encore un patient compliqué ? Ne m’avais-tu pas promis un peu moins de zèle ?

– C’est juste, mais… Comment te dire…

– Oui ? »

Elle adore quand je ne trouve pas mes mots, quand je peine à me livrer. L’arroseur arrosé, en quelque sorte…

Je la laisse profiter de ce privilège. C’en est un aussi pour moi de m’abandonner…

« Poursuivez ! Je vous écoute… » Elle m’imite fort bien, décidément. Rires. Elle a gagné. J’y vais :

« Je peux te poser une question ?

– Bien sûr !

– Est-ce que tu crois aux esprits ?

– Pardon ?

– Oui ! Aux esprits. Aux fantômes, entre guillemets ! »

Même avec les guillemets, le mot me dérange. Je le trouve tant soit peu ridicule, puéril.

Cette fois, ma fille me regarde avec plus d’attention. Je dois avoir l’air sérieux, puisqu’avec le même sérieux, secouant vigoureusement ses boucles brunes, elle me répond :

« Pour tout dire, je ne suis guère portée sur ces… ces choses ! J’ignore si c’est à cause de Jean ou de Marc mais ton cartésianisme ne nous a guère encouragés, Bruno et moi à…

– C’est juste !…

– Bien sûr, il m’est arrivé de faire tourner des tables avec des copines pour m’amuser… Disons : j’y crois sans y croire…

– Oui. Comme tout le monde !

– Et toi ?

– Comme tout le monde : sans y croire ! Je peux finir tes profiteroles ? »

Valérie me tend son assiette, la fine mouche, qui sait tant de moi, croit reconnaître une vraie fringale d’une diversion, d’autant que ses profiteroles sont froides et ma réponse… trop catégorique.

« Mais tu n’es pas comme tout le monde ! » conclut- elle.