La porte s’ouvre et il est là, allongé en travers de la salle du funérarium. Son visage est terriblement creux, il donne l’impression de souffrir. Ses mains sont jointes sur le thorax comme s’il dormait, mais en souffrant. Le lit est surélevé, au-dessus un grand crucifix a été cloué au mur, tout autour par terre ont été déposées des couronnes de fleurs avec des bandeaux indiquant leur provenance. La lumière est tamisée, il règne une odeur agréable diffusée par l’aération, et il fait très froid, c’est une étrange chambre à coucher. À côté, dans une petite pièce séparée par une porte coulissante, les frères et les belles- sœurs sont assis, parlent, boivent du café et mangent des biscuits. Tout le monde discute avec animation, le défunt était âgé, sans enfants, veuf, sa maladie le faisait souffrir, ç’aura été une délivrance. Sa présence si près de nous me gêne. Je sais qu’il n’est plus là, je sais qu’il est mort, que son corps s’est changé en cadavre, mais pourtant pour moi il est encore là et je suis perturbé de me tenir à ses côtés sans pouvoir lui parler.

Ses yeux sont fermés, le visage tourné vers le plafond, mais on ne le reconnaît qu’à moitié car il ne porte pas ses lunettes. On devrait enterrer un mort avec ses lunettes ; si comme le croient les Égyptiens et les Tibétains, et aussi les juifs, les chrétiens, le mort après son décès se réveille dans un autre monde où il peut aller et venir normalement, il aura besoin de ses lunettes là-bas. Je ne connaissais son visage que chaussé de ces lunettes dont il n’avait pas changé la monture depuis quarante ans, je ne le connaissais que les yeux grands ouverts, me regardant au travers de ces lentilles grossissantes. Ce visage nu aux paupières closes m’était inconnu : celui du repos et de la concentration, de la souffrance aussi. Ce mort allongé semble tellement souffrir ; il faut supposer que l’état mortel n’est pas un état agréable.

Toutes les dix minutes, un livreur frappe à la porte et dépose en silence une couronne de fleurs autour du mort. Je ne savais pas que tant de personnes l’aimaient, il y a des fleurs et des mots qui viennent de partout, des gens les plus divers, certains qui ne l’avaient plus croisé depuis des décennies et qui ont vu l’annonce dans le journal avec l’adresse du funérarium. Le bâtiment a été construit récemment, il se dresse sur les hauteurs de la ville, depuis son parking on voit l’immense château du Moyen Âge qui se tient au centre de la cité, certes sur une petite butte, mais tout de même encaissé dans une cuvette, un château fort bâti au creux d’une vallée, facile à encercler mais que l’on peut admirer depuis de nombreux endroits de la ville.

Aujourd’hui, c’est un jour de brouillard et de froid, un jour d’hiver.