Principes d'édition :
choix des œuvres et règles de présentation

Inaugurées et longtemps dominées par le magistral Port-Royal (1840-1859) de Sainte-Beuve, les études port-royalistes ont connu au cours du XXe siècle une extraordinaire efflorescence. Dans ce sillage, plusieurs œuvres essentielles ont récemment été rendues accessibles au public : les Mémoires de Nicolas Fontaine, les Constitutions du monastère ou les Mémoires touchant la vie de M. de Saint-Cyran de Claude Lancelot, pour citer quelques titres emblématiques. Publiés dans des collections qualifiées de savantes, ces ouvrages ne connaissent pas la diffusion qu'ils méritent et la voix de Port-Royal, en dépit de l'intérêt qu'elle suscite, demeure ténue dans le champ de l'édition contemporaine. L'ambition du présent volume est de pallier pour partie cette lacune en offrant au lecteur une série de pièces qui évoquent précisément la vie de la célèbre communauté et de quelques-unes de ses figures les plus remarquables, mais aussi des textes rédigés par des plumes mêmes de Port-Royal (ainsi Antoine Le Maistre, Angélique de Saint-Jean, Robert Arnauld d'Andilly, Madeleine Briquet…) ou par ses premiers historiographes (Jérôme Besoigne, Pierre Guilbert) : tous utilisèrent la somme de relations, procès-verbaux et mémoires établie et rassemblée sous l'impulsion d'Angélique de Saint-Jean dès les années 1650. Ils orchestrent la mémoire vive du monastère.

Deux autres principes ont guidé la constitution de ce volume. D'abord, il a paru souhaitable de privilégier des textes capitaux qui n'avaient jamais été réédités depuis le XVIIe ou le XVIIIe siècle, voire qui étaient demeurés manuscrits, à l'instar des témoignages de Mme de Longueville qu'on trouvera dans la Troisième partie intitulée « Les amis de la vérité ». La Relation de captivité d'Angélique de Saint-Jean, en revanche, fleuron de la production port-royaliste, n'a pas été retenue, parce qu'elle est éditée à la Table Ronde dans la collection « La petite vermillon » (2005), qui est d'un accès aisé. On n'a fait d'exception que pour l'Abrégé de l'histoire de Port-Royal de Racine, qui fonde l'historiographie de l'abbaye et clôt la carrière d'un des plus grands poètes français : encore a-t-on pris le parti de ne fournir que des fragments de l'œuvre. Il convient aussi de mentionner le cas particulier de la Vie de Pascal et de la Vie de Jacqueline Pascal. L'une et l'autre ont été rééditées : la première dans les éditions des Pensées de Pascal que Philippe Sellier a fait paraître chez Bordas (1991), puis dans la collection des « Classiques Garnier » (2010), et au tome I des Œuvres complètes (1964) de Pascal publiées par Jean Mesnard chez Desclée de Brouwer, la seconde uniquement dans ce dernier volume. Elles n'existent donc pas sous forme de monographies, tandis que la monumentale entreprise de Jean Mesnard relève d'une production érudite peu familière au plus grand public. L'importance de ces récits justifiait leur reprise : de surcroît, le texte qu'on fournit pour la Vie de Jacqueline Pascal est différent de celui de Jean Mesnard.

L'autre règle qui a présidé à l'élaboration de cette anthologie consiste à procurer des textes intégraux, et non des extraits (l'Abrégé de Racine mis à part). On n'a pas voulu livrer un florilège de pages séduisantes à la manière du recueil Chroniques de Port-Royal. Relations et portraits des Religieuses et des Solitaires, composé par Hélène Laudenbach et préfacé par François Mauriac, qui est paru à la Table Ronde en 1946, mais des matériaux à partir desquels le lecteur sera libre de rêver, de réfléchir ou de travailler à sa guise. Ce choix a imposé de retenir les œuvres en fonction de leur sujet, de leur intérêt intrinsèque, de leur qualité littéraire, mais aussi de leur taille. Des textes trop longs qui auraient déséquilibré le panorama d'ensemble ont été laissés de côté, fût-ce à regret. Tel quel, le présent ouvrage doit cependant permettre au plus grand nombre de lecteurs d'envisager pour la première fois Port-Royal de plain-pied et de l'intérieur, sans écrans ni gloses importunes : on n'a rien désiré d'autre que cette rencontre nue. On veut croire qu'elle l'emportera en intérêt et en émotion sur toutes les reconstructions : c'est la voix même de la plus célèbre abbaye de France, peut-être, joyau et martyre de la France de Louis XIV, qui résonne enfin dans sa singulière polyphonie.

Une double progression a été ménagée pour favoriser l'accès à cette voix : progression historique, en commençant par la fresque de la réforme de la mère Angélique chez Racine pour aller vers la crise du Formulaire et la destruction du monastère au XVIIIe siècle, et progression spirituelle, puisque l'évocation du monastère comme réalité concrète (géographique et humaine) a pour point d'orgue un bouquet d'écrits moraux et dévotieux des meilleures plumes de l'abbaye. C'est dans ce souci de transcrire un mouvement de dynamique ascensionnelle que le lecteur rencontrera d'abord les laïcs proches de Port-Royal, puis seulement des figures de religieuses et de Solitaires.

Toute œuvre du XVIIe siècle impose à l'éditeur qui ne prend pas le parti d'une transcription « diplomatique » des choix rigoureux en matière d'orthographe et de ponctuation, les règles de ponctuation et l'orthographe de l'âge classique n'étant pas identiques à celles qui sont aujourd'hui en usage. La difficulté est démultipliée s'agissant d'une collection de textes qui émanent de plusieurs éditeurs ou auteurs et lorsque la source est manuscrite : les normes sont très souples au XVIIe siècle, de sorte que tous les contemporains ne suivent pas nécessairement les mêmes principes. Face à cette bigarrure, on a tranché en faveur d'une modernisation stricte, de façon à produire un ensemble cohérent et immédiatement accessible au lecteur. Dans cette perspective, la graphie des noms propres elle-même, qui peut être fluctuante entre les œuvres, voire à l'intérieur d'une même œuvre (« Périer » ou « Perrier », « Flécelles » ou « Flesselles », « Issaly » ou « Issali », « Chouart » ou « Choart », par exemple), a été harmonisée. La leçon retenue est celle que le Dictionnaire de Port-Royal (2004) privilégie : l'ouvrage fait autorité. S'agissant des noms communs, le choix à l'occasion, de la part des auteurs, d'une forme ancienne, comme « convent » plutôt que « couvent », n'a en revanche pas été remis en cause. Le glossaire situé à la fin du volume explicite les termes qui pourraient poser problème. Lorsque le XVIIe siècle prend le parti de dire « aucunes » ou « aucuns », au pluriel, selon un usage contemporain fréquent, tandis que la règle aujourd'hui privilégie le singulier, cette décision a été respectée. Elle ne pose pas de problème de compréhension et on n'a pas voulu, par enchaînement, devoir ensuite changer la quantité d'un verbe ou d'un pronom qui l'imposerait. Dans le même souci de respect scrupuleux des originaux, la graphie « jusques » est maintenue, quoique archaïque. Passer à « jusque » impliquerait de pratiquer, dans certains cas, des élisions (« jusqu'à » au lieu de « jusques à ») qui modifieraient le rythme et la résonance des phrases. Pareilles interventions ont toujours été strictement évitées. Les particularités des usages grammaticaux du XVIIe siècle ont également été respectées. Ainsi deux sujets, ou davantage, liés ou non par une conjonction de coordination, peuvent être suivis par un verbe au singulier, l'accord n'étant fait qu'avec le dernier sujet évoqué, là où il conviendrait désormais d'accorder au pluriel : l'auteur du XVIIe siècle procède à une lecture distributive. De même, il accorde avec le sens : ainsi, le mot « personnes », s'il désigne des personnes du sexe masculin, sera repris par des pronoms masculins et accordé en conséquence.

L'usage des majuscules pose un second problème. Elles sont parfois très nombreuses à l'intérieur même d'une phrase, dans les textes anciens, sans que la grammaire impose leur présence. Elles valent glose, commentaire ou ornement. Or, non seulement l'usage contemporain s'abstient très généralement de recourir à elles dans ces conditions, mais leur origine et leur légitimité mêmes, dans les imprimés du XVIIe siècle, sont sujettes à caution. La plupart des manuscrits sont extrêmement sommaires, laissant toute latitude d'improvisation aux typographes. Ces derniers assument donc très largement la mise en forme des textes, sans consulter leurs auteurs. L'authenticité de ces majuscules est par conséquent discutable. Il demeure que certaines d'entre elles font sens, notamment au début des noms désignant un groupe déterminé (comme les « Religieuses »), dans l'emploi des titres ecclésiastiques (« Évêque » ou « Cardinal »), pour désigner Port-Royal lui-même (« Monastère », « Communauté », « Abbaye ») ou nommer des objets renvoyant expressément à Dieu (« Saint-Sacrement », « Eucharistie », « Relique »). En outre, les majuscules appliquées au titre d'une personne particulière (« la Princesse de Conti ») relèvent d'une coutume quasi systématique, destinée à souligner la considération due à celui qu'on évoque. Ces majuscules ont été conservées et leur éventuelle incohérence au fil d'un texte a même été maintenue. Les titres des personnes indiqués au moyen d'abréviations ont, en revanche, toujours été développés quand ils étaient employés seuls, de sorte qu'aucune hésitation ne soit possible (en particulier les titres religieux employés pour évoqués une personnalité ou s'adresser à elle, comme « M. », qui peut vouloir dire tantôt « Monsieur », tantôt « Monseigneur », dans certains textes). Précédant un nom propre, c'est l'abréviation courante contemporaine qui a été retenue (« M. » pour « Monsieur », « Mgr » pour « Monseigneur »), par souci d'allégement. « PR » pour « Port-Royal » a été rétabli en toutes lettres.

Les textes contenaient peu de lacunes ou d'erreurs factuelles embarrassantes. Quand c'est le cas, néanmoins, on a élucidé la difficulté en mettant le texte corrigé, substitué ou suppléé entre chevrons (« < > »). L'usage des crochets (« [ ] ») est toujours le fait de l'auteur ou de l'éditeur ancien, qu'il entende signaler ainsi une précision apportée à l'original ou une coupure effectuée sur la version primitive du texte qu'il cite ou transmet au public.

Chaque partie du volume débute par une notice critique d'ensemble. Les informations philologiques qui indiquent la provenance des œuvres éditées ou les commentaires plus spécifiques qu'elles appellent se trouvent dans les présentations qui précèdent immédiatement chaque texte.

Les notes des originaux, qu'elles figurent en bas de page ou dans les marges, sont données, dans la présente édition, en bas de page. Les notes critiques qui correspondent à des explicitations biographiques, historiques ou scripturaires, sont rassemblées à la fin du volume. Elles ont été volontairement réduites à l'essentiel, à ce qui pourra aider à la compréhension du propos, à son appréciation, à la poursuite d'une enquête plus approfondie. Tout commentaire à proprement parler a été banni. C'est Port-Royal et ses mémorialistes qu'on a voulu faire entendre, non des gloses d'éditeur.

Plusieurs termes employés par les auteurs sont devenus obsolètes ou possèdent une signification désuète. Pour l'agrément de la lecture, ils n'ont été signalés dans le corps du texte par aucune espèce de marque, mais un glossaire, à la fin de l'ouvrage, doit permettre de lever toute ambiguïté ou d'empêcher toute méprise.

Enfin, il convient de noter que, les religieuses étant censées n'avoir aucune propriété, elles emploient le plus souvent le possessif à la première personne du pluriel à la place de la première du singulier (« notre » au lieu de « mon » ou « ma »), même lorsque la bonne compréhension du texte exige en réalité de procéder à la substitution.

Les références bibliques renvoient au texte de la Vulgate que les religieuses ou les autres auteurs du XVIIe siècle pratiquent, ou à celui de la Bible de Port-Royal, afin d'harmoniser entre leurs citations et les allusions qui sont éclaircies dans les notes. Lorsqu'une citation est extraite de la Bible de Port-Royal, le fait est précisé en note. Le reste du temps, les auteurs procèdent souvent de façon très libre. Nourris de la Bible, ils traduisent eux-mêmes ou reformulent de mémoire le passage qu'ils évoquent. Sauf exception, alors signalée, toutes les traductions proposées en note sont personnelles. Elles s'appuient à l'occasion sur des traductions publiées des Pères de l'Église, mais, la plupart du temps, aucune transcription simple n'a été possible en raison des divergences entre le texte cité dans les originaux du XVIIe siècle et celui des éditions savantes établies à partir du XIXe siècle, sur la base desquelles ont été réalisées les traductions qui font aujourd'hui référence.