I

Nat

Tamil Nadu, État de Madras, 1947

Paul avait quatre ans quand le sahib1 le retira de la maison où vivaient les enfants. Jamais il n’oublierait ce jour. Des coups frappés sur une grande assiette de cuivre le tirèrent de son sommeil : c’était Sœur Maria qui sonnait le réveil, tandis qu’au dehors les corbeaux en proie à une grande excitation croassaient en s’envolant dans de grands battements d’ailes désordonnés, comme s’ils savaient que c’était une journée exceptionnelle. Il s’agenouilla sur sa natte pour réciter sa prière, puis il se leva en bâillant, s’étira et sortit faire pipi.

À côté du robinet du puits, il y avait plusieurs seaux remplis d’eau, munis chacun de trois timbales accrochées au rebord. Les enfants avançaient en jacassant dans une joyeuse bousculade et, comme d’habitude, Paul se trouva être le dernier. Il puisa un gobelet d’eau et s’en aspergea en s’en versant une moitié sur le devant du corps et l’autre derrière, par-dessus l’épaule, ce qui fit reluire sa peau et ressortir tous ses pores, tels ceux d’un poulet plumé. Il se frotta des pieds à la tête avec son morceau de savon personnel, désormais réduit à la dimension d’une pièce d’une roupie, jusqu’à être entièrement recouvert de mousse, puis il se rinça avec trois timbales d’eau froide. Sœur Bernadette leur avait dit de ne jamais utiliser plus de quatre gobelets en tout, parce que l’eau était une chose précieuse, que le puits était presque à sec et que nul ne savait si la mousson d’hiver serait au rendez-vous cette année, et si jamais elle ne venait pas, eh bien, on ne pourrait plus ni se laver ni faire la lessive, et ensuite il faudrait se passer de boire et alors ce serait la mort. Chaque jour Paul priait pour que vienne la mousson.

Il manquait un bouton à la braguette de son short. Il l’avait signalé à Sœur Bernadette, la dame en blanc qu’il préférait ; elle l’avait envoyé à sa recherche, mais comme il ne le retrouvait pas, elle lui avait dit qu’il devrait s’en passer, vu que la réserve de boutons était épuisée. Il en manquait également deux à sa chemisette blanche, mais c’était moins grave que pour la braguette. Les enfants portaient presque tous une chemise à laquelle il manquait plusieurs boutons. Paul se demandait parfois où passaient tous ces boutons. Comment se faisait-il qu’ils disparaissaient sans qu’on pût jamais remettre la main dessus ? Un jour qu’il interrogeait Sœur Bernadette sur le sort de ces boutons de chemises, de robes et de shorts, elle avait souri et répondu que c’était peut-être le Petit Jésus qui les prenait pour jouer avec. « Mais si le Petit Jésus prend les boutons, c’est du vol », avait répliqué Paul, et Sœur Bernadette avait encore souri et dit : « Non, non, Paul. Le Petit Jésus n’est pas un voleur, c’est le Petit Krishna qui chipe les boutons et les emmène au ciel pour que le Petit Jésus et lui s’amusent avec. »

Le Petit Jésus et le Petit Krishna sont très bons amis, disait Sœur Bernadette. Elle connaissait une foule d’histoires sur le Petit Krishna mais elle n’avait pas le droit de les raconter aux enfants, car Mère Immaculata prétendait que le Petit Krishna était vilain, qu’il volait du beurre et du lait caillé, alors que le Petit Jésus était gentil. Voilà pourquoi Sœur Bernadette disait que c’était le Petit Krishna qui volait les boutons et pourquoi on lui défendait de raconter des histoires sur lui. Il lui arrivait toutefois d’en raconter en cachette.

Il faisait encore nuit et on sentait de la fraîcheur dans l’air, mais les corbeaux sillonnaient déjà le ciel, et en montant sur le toit on aurait pu voir une lueur jaune rosé du côté de l’est. Tout le monde se rassembla dans la cour centrale, entre la maison et l’école ; maintenant il fallait se taire, s’agenouiller dans le sable – Paul avait mal aux genoux à cause des grains de sable qui s’y incrustaient – et joindre les mains. Mère Immaculata, une grosse dame imposante toute de blanc vêtue avec une grande croix de bois se balançant sur sa généreuse poitrine, qui fronçait toujours les sourcils et terrorisait Paul, vint se placer face aux enfants. Ils récitèrent leurs prières en chœur : « Notre Père qui êtes aux cieux... »

Après les prières, ils prirent leur petit déjeuner, assis sur une natte, dans la véranda de l’école : un bon iddly croustillant avec une cuillerée de jaggary, accompagné de thé au lait sucré, après quoi une dame en sari blanc vint ramasser les feuilles de bananier qui servaient d’assiettes tandis qu’une autre arrivait munie d’un grand seau et d’une louche avec laquelle elle leur versa de l’eau sur les mains pour les rincer, puis ce fut l’heure de la leçon, au même endroit, sur les nattes.

Ce matin-là, la classe commença par la leçon d’anglais, et la maîtresse désigna Paul, bien que les enfants eussent tous levé la main, tous sauf deux ou trois qui ne savaient pas encore leur alphabet. Paul, lui, le connaissait. A, b, c, d... commença-t-il, en n’hésitant qu’une seule fois, avant le m – il confondait toujours le m et le n –, mais sans toutefois se tromper, et quand il eut terminé, les enfants et la maîtresse applaudirent. Ensuite il y eut la leçon de hindi et de tamoul, puis garçons et filles se rendirent aux toilettes ; ils avançaient sur un rang, chacun se tenant aux épaules de celui qui le précédait, et surtout sans courir. Dans le champ qui servait de latrines, il fallait faire attention, à cause des épines, mais Paul avait la plante des pieds endurcie et les épines ne le dérangeaient guère, sauf quand elles pénétraient en profondeur. Lorsque cela se produisait, il ne pleurait pas, il allait le dire à la maîtresse et la maîtresse ôtait l’épine avec une pince à épiler rouillée, posée sur une étagère, au-dessus de la fenêtre. La maîtresse était gentille. Quand on voulait faire sa grosse commission, elle vous donnait une tasse d’eau pour se laver le derrière ainsi qu’une petite pelle pour recouvrir la chose de sable. Il fallait prendre garde de ne pas marcher sur les crottes des autres enfants. Mais c’était surtout derrière les buissons et les rochers qu’on en trouvait.

Ensuite il y avait d’autres leçons, puis c’était le déjeuner. Les enfants s’asseyaient sur leur natte et deux dames passaient dans les rangs en poussant un chariot où trônait une gigantesque marmite, et leur distribuaient à chacun une louche de riz sur une feuille de bananier, puis une cuillerée de sambar. Paul avait tellement faim qu’il ne laissait jamais un seul grain de riz et, avec son index, il nettoyait bien son assiette de fortune dont le vert prenait une éclatante teinte vernissée. Après le déjeuner, les enfants s’allongeaient sur leur natte pour dormir. Le soleil était alors haut dans le ciel et le sol si chaud qu’il vous brûlait la plante des pieds, mais la véranda était ombragée par un toit de palmes et même si la brise qui soufflait était chaude elle aussi, c’était bon de se sentir tout ensommeillé.

Paul était en train de s’assoupir quand il entendit le ronflement d’une moto qui entrait dans la cour, dans une pluie de gravillons. Il tourna la tête vers l’endroit d’où provenait ce bruit et entrouvrit les yeux. Il vit tout de suite que le motocycliste était un sahib, bien qu’il portât, comme tout le monde, une chemise et un lungi blancs, car s’il avait la peau brune, c’était d’un brun cuivré et ses cheveux n’étaient pas noirs mais châtain doré. Paul n’avait encore jamais vu de vrai sahib, ni de memsahib, sauf sur les images de ses livres de classe, aussi fit-il semblant de dormir tout en regardant entre ses cils le sahib passer une jambe par-dessus la selle de sa moto, qu’il cala sur sa béquille, puis s’avancer avec l’air d’une personne qui attend quelqu’un. Paul s’aperçut qu’il boitait et, chose étrange entre toutes, qu’il portait des chaussettes sous ses chappal. Paul avait vu des dessins de chaussettes dans son abécédaire anglais – C comme Chaussette – mais jamais il n’avait vu quelqu’un en porter. Celles-ci étaient grises avec une rayure bleue.

Mère Immaculata se précipita au devant de l’inconnu, ce qui fit trembloter le bourrelet de graisse coincé entre sa jupe et le corsage de son sari. Paul savait que les sahib se serraient la main pour se dire bonjour, mais ce sahib-là adressa un pranam à Mère Immaculata, en joignant ses paumes, ainsi qu’ils le faisaient pour prier. Mère Immaculata ne parut pas apprécier. Elle tendit la main et il la lui prit. Paul observait la scène avec attention, car elle était très inhabituelle et très intéressante. Qu’est-ce que cet homme venait faire ici ? Quelquefois – pas très souvent – les enfants recevaient des visites, des adultes venaient les voir. Paul savait qu’il s’agissait d’oncles ou de tantes de ses camarades, mais pour sa part il n’avait ni oncle ni tante. En tout cas, ce n’étaient jamais des sahib. Serait-il venu choisir un enfant ?

Paul sentit son cœur s’accélérer. Il arrivait très rarement qu’on vînt choisir un enfant, et là, ce ne pouvait être le cas, sinon il y aurait eu une dame avec le sahib. Un jour, juste avant Noël, un monsieur et une dame étaient arrivés dans une grosse auto noire. La veille, Mère Immaculata leur avait dit qu’ils venaient choisir un enfant qui deviendrait le leur, parce que la dame avait perdu le sien – Paul avait trouvé que c’était bien négligent de sa part, il pouvait imaginer qu’on perdît un bouton, mais comment pouvait-on perdre un enfant. Ou alors le Petit Krishna l’aurait-il volé ? – et que cet enfant chanceux irait vivre avec eux et les appellerait papa et maman. Tous les enfants s’étaient donc précipités au devant des visiteurs, en poussant des cris, en sautant, en leur faisant des signes, agglutinés autour d’eux, les tirant par les vêtements et en criant Namasté ! Namasté ! car tous voulaient être choisis.

Paul avait prié pour que ce soit lui, et d’ailleurs ça avait bien failli être lui, car la dame au regard triste, qui portait un sari pourpre et des quantités de bracelets d’or, s’était arrêtée pour le regarder en souriant. « Il a un magnifique teint de blé, l’avait-il entendue remarquer, en anglais. Il vient du Nord ? » Paul avait prié de tout son cœur et même commencé à espérer, parce qu’il savait que la dame le voulait.

Mais Mère Immaculata secoua catégoriquement la tête. Elle prit la dame par le coude et l’entraîna à l’écart en se penchant pour lui dire à l’oreille quelque chose d’épouvantable que Paul n’était pas censé savoir, quelque chose qui fit que la dame hocha la tête d’un air entendu et choisit un autre enfant, un tout petit, trop jeune pour aller en classe. Paul était parmi les plus âgés. À cinq ans, il partirait au Bon Pasteur, à Madras, un endroit affreux, pour les grands qui ne seraient jamais choisis. Mère Immaculata disait que les enfants du Bon Pasteur étaient les petits agneaux de Jésus. Mais Paul ne voulait pas être un agneau, vu qu’il était un petit garçon. Oh, cher Petit Jésus, s’il te plaît, fais que le sahib me choisisse ! Oh, s’il te plaît, fais qu’il me choisisse, Petit Jésus ! murmura Paul en lui-même, puis il s’endormit. Le Petit Jésus n’avait pas répondu à sa prière la dernière fois et ce serait pareil aujourd’hui.

Il se réveilla parce que quelqu’un le secouait par les épaules en l’appelant : « Paul ! Paul ! » Il se frotta les yeux et leva la tête. C’était la maîtresse et elle souriait. Derrière elle se tenaient le sahib et Mère Immaculata : ils parlaient ensemble et le grand monsieur le regardait, lui, Paul. Paul n’osait pas espérer ; il savait que Mère Immaculata ne tarderait pas à révéler au sahib l’épouvantable secret le concernant et que le sahib s’éloignerait, rempli de dégoût. Mais non ; voilà que Mère Immaculata s’approchait vers lui, la main tendue, et comme Paul ne réagissait pas immédiatement, elle agita les doigts d’un geste impatient et dit : « Allons, allons, Paul, lève-toi, lève-toi ! » Paul se mit alors debout précipitamment. Et il resta planté là à regarder le sahib qui le dominait de toute sa taille, avec ses yeux d’un gris-bleu sombre et son énorme main qu’il posa sur la tête de Paul. C’était comme un casque agréable et frais, un casque blanc et frais, comme en portaient les sahib des images, mais ce sahib-là était nu-tête, à croire que le soleil ne le gênait pas.

Ils parlaient en anglais. Paul saisit quelques mots. Mère Immaculata appelait le monsieur daktah, à l’étonnement de l’enfant, certain de ne pas être malade, alors pourquoi ce daktah venait-il le voir ? Peut-être pour lui planter une aiguille dans le bras, ainsi que le faisaient parfois les daktah. Mais dans ce cas, pourquoi n’avait-il pas de tuyau accroché dans ses oreilles, comme le daktah qui venait ici d’habitude ? Paul espéra que ce n’était pas un daktah, car sinon, il repartirait. Il espérait qu’il était venu choisir un enfant et que cet enfant serait lui, Paul.

Le sahib parlait de sa femme, qui était morte, et Mère Immaculata fit l’éloge de Paul à cause de son teint clair. Elle ajouta qu’il était intelligent. Paul l’entendit qui disait :

« C’est un enfant intelligent. Très intelligent. »

Et le sahib hocha la tête en le regardant d’un air satisfait.

« Paul, compte jusqu’à cent ! » dit Mère Immaculata et, aussitôt, Paul débita sa litanie, en s’arrêtant à peine pour reprendre sa respiration, et le monsieur continua à le regarder en souriant, avec ces yeux gris-bleu, si chauds que Paul se sentit tout engourdi de bien-être, tel un chiot lové contre sa mère. Ces yeux lui rappelaient quelque chose de très précieux. Ah oui... c’était ça. La spirale gris-bleu incluse dans le milieu de la bille qu’il avait dans sa poche. Il y plongea la main pour s’assurer qu’elle était toujours là et referma ses doigts dessus. Il avait eu cette bille en cadeau, pour Noël. Les garçons en avaient tous reçu une, et pour les filles, ç’avait été un morceau de ficelle noué en boucle avec lequel elles jouaient à quelque chose qu’on appelait le jeu du berceau, mais Paul préférait sa bille. Il y avait des garçons qui faisaient des parties de billes à plusieurs, mais Paul aimait mieux jouer seul, dans le sable, pour ne pas la mélanger aux autres, bien qu’il fût parfaitement capable de l’identifier, à cause de la spirale gris-bleu de son milieu, qu’il connaissait par cœur à force de la regarder. Cette bille était son bien le plus précieux et il savait qu’elle lui porterait chance ; peut-être la chance était-elle ce sahib dont les yeux avaient la même couleur, tout en étant différents, car au lieu d’être froids et immobiles comme la bille, ils étaient pleins de vie et de chaleur, et quand on y plongeait son regard, quelque chose de minuscule remuait dans le grand vide triste qu’on sentait à l’intérieur de soi. Comme une graine qui commence à germer.

Le cœur de Paul cognait si fort qu’il l’entendait battre. Il caressa le grain de beauté qu’il avait derrière l’oreille, en ne cessant de répéter une prière muette : « S’il te plaît, Petit Jésus, s’il te plaît, s’il te plaît, Petit Jésus. » Il avait une peur bleue que Mère Immaculata ne révèle l’épouvantable secret au sahib, qui choisirait alors quelqu’un d’autre.

« ... un tout petit bébé d’à peine quelques jours, enveloppé dans un vieux sari sale... devant le portail », disait Mère Immaculata. Est-ce qu’elle parlait de lui ? C’était comme ça qu’il était arrivé ici ? « Un mot, avec son nom... Nataraj. Et puis une chose inexprimable, docteur, inexprimable ! »

Paul en aurait pleuré. Elle lui avait dit ! Elle avait dit au sahib la chose épouvantable ! Que signifiait « inexprimable » ? Était-ce pire que « épouvantable » ? Mère Immaculata faisait une telle grimace que c’était sûrement pire. Et maintenant le sahib allait... Mais non, voilà qu’il lui prenait la main, l’examinait et lui caressait les doigts, tout en écoutant ce que racontait Mère Immaculata et en regardant Paul de temps à autre sans cesser de sourire, à croire que Mère Immaculata disait de gentilles choses sur lui. Elle va lui parler de la fois où j’ai fait pipi en classe parce je ne pouvais plus me retenir, pensa-t-il. Il se demanda si l’épouvantable secret était encore pire que ça, mais jugea que ce n’était pas possible. Ce jour-là, Mère Immaculata lui avait dit que le Petit Jésus était très, très triste à cause de lui, et il avait dû rester agenouillé tout l’après-midi sur des grains de riz en récitant son Je vous salue Marie, pour que le Petit Jésus retrouve la joie. S’il te plaît, Petit Jésus, s’il teplaît, cognait son cœur, et voilà que le sahib le tirait doucement par la main pour le guider entre les corps des enfants endormis dans la véranda, et l’entraînait vers le bureau de Mère Immaculata. Paul s’empara de l’index du sahib et le serra de toutes ses forces, pour être sûr qu’il ne l’abandonnerait pas. Ils entrèrent dans le bureau, mère Immaculata frappa dans ses mains et, quand sœur Maria entra en trombe, elle lui dit d’apporter deux tasses de thé. Le sahib s’assit devant la table pour examiner des papiers, et le cœur de Paul se mit à battre encore plus fort, parce qu’il lui semblait que le sahib l’avait complètement oublié. Mais bientôt il leva la main droite, regarda Paul et rit, parce que Paul continuait à lui serrer le doigt de toutes ses forces.

« Je vais être obligé de signer de la main gauche », dit le sahib sans cesser de sourire, et il écrivit quelque chose sur les papiers avec son autre main. Mère Immaculata rangea ensuite quelques-uns des documents dans un grand classeur en carton, tandis que le sahib pliait maladroitement une feuille de la main gauche, pour la glisser dans la poche de sa chemise, après quoi il sortit avec Paul dans la cour inondée de soleil, en direction de la motocyclette.

« Tu es déjà monté sur une moto ? demanda-t-il à Paul, qui secoua la tête. Il va falloir que tu me lâches, si tu veux grimper dessus, poursuivit-il en riant, tout en détachant un par un les doigts de l’enfant. Tu n’auras qu’à me tenir par les poignets... tiens, installe-toi devant, avance-toi un peu pour que j’aie la place de m’asseoir derrière toi. »

Le sahib rabattit la béquille de la moto. « Tu es déjà allé à Madras, Paul ? » demanda-t-il, en tamoul cette fois, pendant qu’il dénouait un coin de son lungi dans lequel il avait enveloppé la clé.

« Ille, sahib, sah, dit Paul.

— Bien, allons-y, alors ! » dit le sahib en anglais, puis il retroussa son lungi sur ses genoux et passa une jambe par-dessus la moto, une jambe terminée par un pied de bois, ce dont Paul ne s’aperçut qu’après, quand ils furent arrivés à Madras et que le sahib eut ôté sa chaussette grise.

Le sahib se pencha et dit : « Écoute, je n’aime pas qu’on m’appelle monsieur. À partir d’aujourd’hui, appelle-moi papa. Et moi je t’appellerai Nataraj. Nat. »