Le crochet du droit prit Connor par surprise, un véritable missile qui l’atteignit à la mâchoire et fit danser des étoiles devant ses yeux. Il bloqua un direct du gauche et répliqua par un coup de pied aux côtes. Son adversaire, un garçon de quinze ans échevelé dont le corps semblait avoir été taillé dans le roc, esquiva aisément la charge et revint aussitôt à l’assaut. Les coups se mirent à pleuvoir. Connor baissa la tête et remonta ses gants. Il n’avait d’autre stratégie que de laisser passer l’orage.
— VAS-Y, JET ! ENVOIE-LE AU TAPIS !
Les cris de l’assistance formaient un rugissement assourdissant. Quand la cloche se fit entendre, l’arbitre s’interposa, puis Jet, furieux de n’avoir pas exploité son avantage avant la fin du round, le fusilla du regard.
Connor se traîna péniblement jusqu’à son coin. Il avait quatorze ans, des cheveux châtains hérissés, des yeux bleu-vert et un physique d’athlète, fruit de huit ans de pratique intensive des arts martiaux. Il cracha son protège-dents et but au goulot de la bouteille que lui tendait Dan, son entraîneur de kickboxing. L’homme au crâne dégarni, aux yeux semblables à deux fentes et au nez aplati ne cacha pas son mécontentement.
— Tiens ta garde plus haut, nom d’un chien, gronda-t-il.
— Jet a une telle vitesse de bras… haleta Connor.
— Mais tu es plus mobile, répliqua Dan. Le titre de champion est à ta portée et tu n’as plus qu’à le ramasser, à moins que tu ne préfères continuer à exposer ton menton.
Connor hocha la tête. Il secoua ses bras tétanisés et respira profondément. Les quatre combats qu’il avait remportés pour se hisser en finale l’avaient épuisé, mais il s’était préparé pour ce tournoi pendant des mois et ne comptait pas fléchir devant le dernier obstacle.
Dan essuya le visage de son poulain à l’aide d’une serviette-éponge.
— Tu vois ce type assis au deuxième rang ?
C’était un homme âgé d’une cinquantaine d’années, aux cheveux gris tondus à la mode militaire. Un programme à la main, il affichait un comportement impassible qui contrastait avec l’exubérance générale. Il ne quittait pas Connor des yeux.
— C’est un agent à la recherche de nouveaux talents.
À ces mots, Connor sentit un soudain regain d’énergie. La présence de ce professionnel était une chance de se faire remarquer, d’intégrer le circuit international, de disputer des titres prestigieux et de décrocher des contrats de sponsoring. Un argent dont sa petite famille avait le plus grand besoin.
La cloche annonça le début du troisième et dernier round.
— Maintenant, tu vas me faire le plaisir de gagner ce combat ! lança Dan en encourageant son poulain d’une solide claque dans le dos.
Connor replaça son protège-dents puis se leva pour faire face à Jet, qui sautillait d’un pied sur l’autre avec une étonnante vivacité. La foule rugit de plus belle lorsque les deux adversaires se portèrent à la rencontre l’un de l’autre sous la lumière crue des projecteurs. Ils se toisèrent longuement, déterminés à ne trahir aucun signe de faiblesse. Dès que leurs gants se touchèrent, Jet lança son attaque – une étourdissante combinaison alternant jabs, crochets et directs.
Connor esquiva l’assaut et contre-attaqua par un coup de pied direct. Son talon entra en collision avec l’estomac de Jet avec une telle violence que ce dernier se courba en deux. Il en profita pour coincer son adversaire dans les cordes et lâcher une bordée de coups, mais Jet résista à cet assaut avant de riposter. Une avalanche de jabs et de directs lui permit de se dégager et de porter un violent coup de tibia à hauteur de la cuisse de Connor. Enfin, il décocha un formidable crochet que son rival esquiva in extremis.
Réalisant qu’il était passé à un cheveu de la punition, Connor comprit ce que Jet avait en tête : obtenir le K-O afin d’abréger l’affrontement.
Comme deux gladiateurs, ils arpentèrent le ring en se rendant coup pour coup. Le front ruisselant de sueur, Connor encaissait des frappes de plus en plus lourdes. Il sentait ses forces décliner mais comptait bien se battre jusqu’au bout, pourvu qu’une attaque plus puissante que les autres ne le mette pas définitivement hors de combat. L’enjeu était trop important.
— Reste mobile ! hurla Dan.
Jet lança un coup de pied circulaire que Connor bloqua des deux bras avant de répliquer par un fouetté latéral. Jet se déroba puis revint à la charge, les poings battant les airs. La foule ne contenait plus son enthousiasme devant ce spectacle épique. Les membres du club d’arts martiaux Tiger scandaient le nom de Connor. Les supporters de Jet haussèrent aussitôt le ton, portant le vacarme général à son comble pour les ultimes secondes du combat.
C’est à ce moment que Connor réalisa qu’il perdrait probablement aux points s’il n’obtenait pas le K-O. Il devait tenter le tout pour le tout.
— Ne baisse pas ta garde ! hurla Dan, hors de lui.
Au même instant, Jet remarqua une faille dans la défense de Connor. Il y concentra ses coups. Jab, direct… crochet !
Il avait mordu à l’hameçon.
Car depuis quelques secondes, Connor avait trouvé le second souffle, et il ne faisait que feindre un état d’extrême faiblesse.
Il effectua un pas d’écart, étourdit son adversaire par un direct à la mâchoire puis exécuta un coup de pied crochet arrière. Jet ne vit même pas venir l’attaque. Lorsque le talon de Connor entra en contact avec sa tempe, son protège-dents jaillit de sa bouche comme un bouchon de champagne. Il s’affala sur le ring et rassembla ses membres en position fœtale. Une seconde plus tard, la cloche annonçant la fin du round retentit.
Tandis que l’arbitre aidait Jet à se redresser puis à se tenir sur ses jambes vacillantes, le président du jury se hissa sur le ring, micro en main, et annonça :
— Le titre des moins de seize ans est attribué à… CONNOR REEVES !
Connor reçut la coupe, un kickboxeur argenté perché sur une colonne de marbre. Ivre de joie et de fierté, il la brandit au-dessus de sa tête. Une large partie de l’assistance laissa éclater sa joie.
Dan quitta son coin pour le serrer dans ses bras.
— Félicitations, champion ! sourit-il. Ton père serait fier de toi.
Connor leva les yeux vers le trophée scintillant puis étudia la foule en délire. À cet instant, il aurait tout donné pour que son père se trouve à ses côtés. C’était lui, après tout, qui lui avait transmis sa passion des arts martiaux.
— Je dois admettre que tu m’as causé du souci, dit Dan.
— J’ai bluffé, expliqua Connor. C’est toi qui m’as enseigné cette ruse, je te le rappelle. Ce trophée, tu le mérites autant que moi.
Après avoir remis la coupe à Dan, il constata que l’homme du deuxième rang avait déjà quitté son siège.
— Oh, soupira-t-il, un peu déçu. On dirait que je n’ai pas fait grande impression auprès de l’agent…
— Ne t’inquiète pas trop pour ça, sourit Dan. J’ignore complètement qui était ce type. Je voulais juste que tu te dépasses, et je crois que je suis arrivé à mes fins.