Le climat bouleversé

 

La production et la consommation d’énergie sont la source de nombreuses pollutions atmosphériques, qu’elles soient localisées autour des sites d’émission, comme les particules imbrûlées des moteurs diesel, ou qu’elles se fassent sentir à une échelle plus vaste comme les pluies acides*, la destruction de la couche d’ozone1 ou le “nuage brun” qui recouvre une vaste partie de l’Asie2.

Au cours des dernières années, un autre phénomène est apparu avec de plus en plus d’acuité : le risque d’un bouleversement majeur, irréversible, de notre climat. Pressenti par le chimiste suédois Svante Arrhenius à la fin du XIXe siècle, le phénomène de l’effet de serre a commencé à être décrit précisément dans les années 1950 par le géologue et océanographe Roger Revelle, de l’université de San Diego en Californie, dont l’enseignement influença fortement un certain Al Gore, candidat malheureux à l’élection présidentielle américaine contre George W. Bush en 2000, et colauréat du prix Nobel de la paix en 2007 pour sa croisade contre les changements climatiques.

Ce n’est qu’en 1975 que le terme a été employé pour la première fois par le climatologue Wallace Broecker de l’université Columbia, et il aura fallu attendre la création par l’Onu du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), en 1988, pour que l’on puisse espérer que l’humanité en prenne enfin conscience. Depuis, des milliers de savants de toutes disciplines accumulent les preuves en remontant jusqu’à 800 000 ans dans le passé grâce aux carottages des glaces de l’Antarctique et constatent les évolutions sensibles du climat en s’appuyant sur des données recueillies dans le monde entier. A partir de l’observation du climat d’aujourd’hui, ils modélisent notre possible avenir climatique selon des scénarios contrastés.

Que nous enseignent-ils ? Que l’émission durant les deux derniers siècles des “gaz à effet de serre”, principalement du dioxyde de carbone (“gaz carbonique”), du méthane*, du protoxyde d’azote et des gaz fluorés, a changé la composition chimique de notre atmosphère. Et que ces rejets sont dus pour l’essentiel à la combustion des énergies fossiles que sont le charbon, le pétrole et le gaz naturel, mais aussi à certaines pratiques agricoles3 et industrielles.

Ils nous montrent que ces émissions ont provoqué une modification des échanges thermiques entre la haute et la basse atmosphère et entraîné une altération du climat vers une hausse sensible, déjà perceptible, de la température moyenne mesurée à la surface de la Terre. Ils nous expliquent enfin que tous les modèles simulant les évolutions à venir convergent pour dire qu’il est vital de contenir cette augmentation à moins de 2 oC par rapport à l’ère préindustrielle. Si nous n’y parvenons pas, les transformations radicales de l’environnement que subiront la plupart des régions du monde rendront les conditions de survie de l’humanité plus difficiles qu’elles ne l’ont jamais été.

Ces modèles prédisent ainsi : une augmentation du niveau des océans submergeant îles et deltas bien souvent surpeuplés ; une fréquence de plus en plus importante des épisodes climatiques extrêmes (canicules, sécheresses, cyclones, vagues de froid, inondations, tempêtes, etc.) ; la disparition de très nombreuses espèces végétales et animales et la migration de nombre de celles qui auront survécu ; et d’autres “surprises climatiques” dont on peine à imaginer les conséquences, comme la perturbation du Gulf Stream ou la diminution des pergélisols4.

Ceci est d’autant plus inquiétant que la pression des 9,3 milliards d’êtres humains prévus pour 2050 (contre 7 milliards actuellement) ne laisse guère de marges de manœuvre en termes de disponibilité d’espace et de ressources : s’ajoutant à ceux qui cherchent à échapper aux catastrophes naturelles, aux conflits et aux dictatures, les réfugiés climatiques ne seront nulle part les bienvenus.

Certes, l’écosystème terrestre n’a pas attendu la révolution industrielle pour connaître des bouleversements climatiques. Homo sapiens, la lignée à laquelle nous appartenons, est assez ancienne pour avoir subi au moins deux périodes glaciaires et autant d’interglaciaires – et elle y a survécu. Mais l’ampleur et la rapidité des dérèglements déjà observés, malgré l’inertie des phénomènes en jeu, ne laissent aucune place au doute : il faut agir vite et fort pour stopper une évolution déjà bien engagée dans la mauvaise direction !

A ceux qui hésitent encore devant l’ampleur de la tâche et la crainte que cela puisse coûter très cher pour ne pas servir finalement à grand-chose, le rapport de l’économiste Sir Nicholas Stern publié en 20065 démontre que le montant des actions à mener pour enrayer le phénomène ne dépasse guère 1 % de la richesse mondiale (le PIB6), alors que les conséquences de l’inaction auraient un coût s’élevant à plus de 20 % du PIB mondial, entraînant probablement une crise économique d’une ampleur inconnue.

En France, l’épisode du Grenelle de l’environnement, entre 2007 et 2010, a pu faire croire que la question des changements climatiques allait enfin être prise avec le sérieux et le volontarisme nécessaires. La désillusion fut totale. Abandon en rase campagne de la taxe carbone, construction de centaines de kilomètres de nouvelles autoroutes, autorisations de prospection pour les gaz de schistes*, bâtons de toutes sortes mis en travers du développement des énergies renouvelables… Les bonnes intentions initialement affichées se sont enlisées dans le sable où l’autruche enfouit sa tête, à tel point qu’au Salon de l’agriculture quelques années plus tard, l’initiateur du Grenelle, Nicolas Sarkozy, refermait la parenthèse en déclarant : “L’environnement, ça commence à bien faire…”


1 Le “trou de la couche d’ozone”, souvent confondu avec les changements climatiques, est limité à certaines régions spécifiques (Antarctique et Australie notamment), où il rend l’exposition prolongée aux rayons du soleil dangereux pour la peau (risque de cancer).

2 Le “nuage brun d’Asie” est un immense nuage de particules, d’aérosols et de gaz polluants qui recouvre une grande partie du continent asiatique, dû à la combustion de la biomasse, du charbon et du pétrole.

3 Les émissions dues au système agricole représentent 20 % des émissions totales de la France, réparties entre le méthane produit par la digestion des ruminants (émissions “entériques”) et la dégradation des engrais chimiques dans le sol (nitrates). Au niveau mondial, les rizières constituent également un émetteur important de gaz à effet de serre.

4 Le pergélisol (permafrost en anglais) est un sous-sol gelé en permanence, qui représente environ 20 % de la surface terrestre, dont un quart des terres émergées de l’hémisphère nord. La fonte de la glace recouvrant sa partie sud pourrait libérer d’énormes quantités de méthane, et rendre irréversible un changement climatique majeur.

5 Résumé en français et lien de téléchargement à l’adresse www.rac-f.org/Rapport-Stern-Cout-des-changement.html.

6 Le produit intérieur brut.