1 – LE PARTAGE DE LA PUISSANCE
Après avoir dominé le monde pendant près de quatre siècles, l’« Occident » voit aujourd’hui son hégémonie politique remise en question. Au cours de cette période, il aura réussi à imposer son modèle politique, ses valeurs et nombre de ses pratiques à l’ensemble de la planète. Tout en demeurant des pôles de prospérité et d’influence, les États-Unis et l’Europe observent presque avec étonnement l’émergence de nouvelles puissances concurrentes. À l’heure de la mondialisation, la puissance a changé de forme et de géographie. En ce début de XXIe siècle, le monde est devenu multipolaire.
Le concept d’Occident est constamment utilisé dans notre vocabulaire, sans que l’on sache exactement ce qu’il recouvre. Notion mouvante et imprécise, elle renvoie historiquement à des réalités différentes (culturelle, religieuse, économique, militaire, civilisationnelle) qui dessinent autant de figures de l’Occident.
L’étymologie du terme « Occident » renvoie au latin occidens, qui signifie « en direction de l’ouest », « là où le soleil se couche », qui vient lui-même de occidere, qui veut dire « mourir » et, par extension au sujet des astres, « tomber, se coucher ». Cette référence à la chute sera notamment utilisée par le philosophe allemand Oswald Spengler, au début du XXe siècle, pour annoncer, déjà, « le déclin de l’Occident ».
1. LES ORIGINES MÉDITERRANÉENNES DE L’OCCIDENT
L’Occident trouve ses origines dans les traditions gréco-romaines et judéo-chrétiennes. Elles s’identifient bien souvent à trois villes : Athènes, qui incarnait au Ve siècle avant J.-C. une première expérience démocratique, en opposition à Sparte ; Jérusalem, depuis laquelle la spiritualité biblique s’est propagée rapidement contribuant à assimilier une croyance à un espace géographique ; et enfin Rome, connue notamment pour son génie juridique et son invention du droit privé (le droit des gens).
L’Empire romain, dont la religion officielle devient le christianisme à partir de 392, est placé sous l’autorité unique de l’empereur. Sa très grande extension géographique, des rivalités internes et des conflits externes ont entraîné sa division, en 395, en deux entités : un Empire romain d’Orient, dirigé alors par l’empereur Arcadius, et un Empire romain d’Occident, dirigé par l’empereur Honorius. C’est sans doute la première fois que l’on se réfère explicitement à la notion d’Occident.
2. LA CHRÉTIENTÉ COMME FIGURE DE L’OCCIDENT
Après la scission de l’Empire romain, le christianisme continue à s’étendre vers le nord de l’Europe et en Russie. L’unité de l’Église chrétienne ne va pas survivre à cette extension. Le schisme de 1054 donne naissance à une Église d’Orient et à une Église d’Occident. Rome, puis la papauté en Avignon, s’opposent désormais à ce qui deviendra l’Orient byzantin. En 1095, lorsque commence la première croisade, qui a pour but de reprendre la Ville sainte de Jérusalem aux Musulmans, chrétiens d’Orient et chrétiens d’Occident sont donc divisés.
3. LES GRANDES DÉCOUVERTES, OU LE PREMIER PARTAGE OCCIDENTAL DU MONDE
Les grandes découvertes vont constituer une étape importante dans la formation de l’idée d’Occident. Au milieu du XVe siècle, le prince portugais Henri le Navigateur lance ses caravelles sur les océans inconnus avec l’objectif d’élargir les zones de commerce de la monarchie portugaise et d’étendre les connaissances géographiques. Grâce à leur supériorité maritime, les Portugais explorent les côtes de l’Afrique où ils installent des comptoirs. Talonnés par les Espagnols, qui (re)découvrent l’Amérique, les Portugais prennent possession d’un vaste territoire qui deviendra, en 1500, le Brésil. Pour mettre fin à la rivalité entre les deux monarchies ibériques, le pape attribue à chacune d’elles une partie du monde : c’est le traité de Tordesillas, signé en 1494, qui ouvre la voie à l’implantation coloniale massive en Amérique latine et à la poursuite de l’exploration des voies maritimes vers l’Asie. À la fin du XVIe siècle, Espagnols et Portugais sont implantés aux quatre coins du globe et diffusent le christianisme autant que les idées et les techniques occidentales. Les Européens façonnent et exportent ainsi la notion de supériorité de la civilisation occidentale. L’Occident est désormais présent hors du bassin méditerranéen où il avait puisé ses valeurs premières.
4. QUAND L’AMÉRIQUE DU NORD ÉTAIT EUROPÉENNE
Français, Britanniques, Irlandais, Hollandais, Allemands viennent s’installer au nord du continent américain. Ils y fondent de nouvelles villes sur la côte est, puis franchissent la chaîne des Appalaches et s’engagent à cheval à l’intérieur de cette immense terre inconnue qu’est l’Amérique du Nord. Ces territoires sont désormais divisés en possessions coloniales britanniques et françaises au nord, espagnoles au sud.
Les treize colonies qui bordent la côte atlantique font sécession avec la Couronne britannique en 1776, donnant naissance à un nouvel État : les États-Unis d’Amérique. Les habitants de ce nouveau pays partent en guerre tout à la fois contre l’environnement naturel, contre les tribus indiennes et contre ceux qui demeurent, alors, des Européens. Cela ne les empêche pas, par ailleurs, d’épouser les valeurs du siècle des Lumières européen que sont la démocratie, la liberté, les droits de l’homme et les droits civiques. Peu à peu, les États-Unis vont former une nouvelle branche de l’« Occident ».
5. LA COLONISATION, OU LE MONDE COMME UNE EXTENSION EUROPÉENNE
Le XIXe siècle va marquer l’apogée de la diffusion des idées occidentales, qui reposent à la fois sur la religion chrétienne et la croyance dans le progrès. Ce credo s’appuie sur la révolution industrielle qui a lieu entre le XVIIIe et le XIXe siècles au Royaume-Uni puis dans le reste de l’Europe. L’avancée industrielle et l’idée même de « progrès » renforcent le concept de « civilisation occidentale » et confortent son expansion. La conquête de nouveaux territoires par des pays dits occidentaux se poursuit en direction de l’Afrique et de l’Asie pour les Français et les Britanniques et, dans une moindre mesure, pour les Belges et les Italiens. Les Espagnols et les Portugais tentent, de leur côté, de conserver tant bien que mal les miettes de leur empire.
L’Occident diffuse et impose ainsi son mode de pensée à des territoires qui dépassent largement ses premiers contours historiques. Que ce soit par la conquête missionnaire, la conquête commerciale ou la conquête militaire, en 1936, la majeure partie des terres émergées de la planète a été colonisée par des États se réclamant de l’Occident.
6. LA GUERRE FROIDE, OU L’« OCCIDENT » CONTRE LE BLOC COMMUNISTE
Pour les peuples d’Asie et d’Afrique, la Seconde Guerre mondiale est un tournant qui vient discréditer l’idée même d’Occident et nourrir le processus de décolonisation qui s’engage après 1945. Au même moment, pourtant, la notion d’Occident va se trouver renforcée du fait de l’arrivée d’un nouvel adversaire : l’URSSURSS. En effet, à peine le nazisme vaincu, l’URSSURSS cesse d’être un allié pour devenir un rival géopolitique. Quatre ans après la fin de la guerre, une nouvelle opposition géopolitique mettant aux prises deux alliances militaires divise le continent européen : le Pacte de Varsovie d’un côté, regroupant l’URSSURSS et ses pays satellites d’Europe de l’Est, et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTANOTAN) de l’autre, réunissant les États-Unis et leurs alliés d’Europe de l’Ouest. Le « monde libre », comme on le nomme alors, est bien cet Occident aux contours mobiles, qui se reforme grâce à la menace que constitue l’Union soviétique de l’autre côté du « rideau de fer ». La menace militaire s’accompagne en outre d’une menace pour le modèle occidental : la démocratie, l’économie de marché et la liberté de culte étant des pratiques que l’Union soviétique a interdites en son sein et dans sa sphère d’influence européenne.
7. LE « CHOC DES CIVILISATIONS », L’OCCIDENT SELON SAMUEL HUNTINGTON
Avec la fin de la guerre froidela guerre froide, l’opposition Est-Ouest cesse et les anciens pays du bloc communiste adoptent le modèle économique et politique défendu jusque-là par le bloc occidental. C’est à cette période, en 1993, que le politologue américain Samuel P. Huntington développe son concept de « choc des civilisations », dessinant de nouveaux contours à ce qu’il identifie comme la civilisation occidentale. En se fondant sur des critères religieux, historiques, linguistiques ou liés aux traditions, sa thèse, qui distingue neuf civilisations, se révèle simpliste. Pour ne s’en tenir qu’au critère religieux, on constate qu’Huntington ne tient pas compte de la répartition effective des croyants dans le monde pour établir sa typologie. À titre d’exemple, le Kazakhstan, pays à majorité musulmane, est inclus dans la civilisation orthodoxe. Huntington décrit une civilisation occidentale fermée sur elle-même, alors que d’autres critères suggèrent au contraire un Occident ouvert sur le monde. C’est le cas notamment du critère économique.
8. DU G8 AU G20, LA MONDIALISATION DU MODÈLE ÉCONOMIQUE OCCIDENTAL
Au fil des années, on a observé un processus d’occidentalisation du monde par le biais de l’économie. Créé en 1975, le G6, groupe informel composé des pays industrialisés les plus riches, s’est peu à peu étendu pour réunir des pays ayant adopté le même modèle économique. Devenu G7 en 1976, avec l’entrée du Canada, ce groupe devient le G8, en 1998, avec l’entrée de la Russie.
Enfin, il faudra attendre la crise financière et économique de l’automne 2008 pour voir le G20, structure regroupant les pays industrialisés et émergents, occuper le devant de la scène. Reflétant les évolutions économiques en cours, ce groupe inclut la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie, le Mexique ou l’Afrique du Sud. Il exprime ainsi une nouvelle extension du modèle et des pratiques économiques de l’Occident.
L’économie de marché apparaît actuellement comme le modèle économique dominant sur l’ensemble de la planète, exception faite de la Corée du Nord et Cuba. Ainsi, au regard du modèle économique appliqué au niveau mondial, tous les États ou presque seraient désormais « occidentaux », ce qui rend les contours de l’Occident plus flous encore.